Madame Chahdortt Djavann est née en Iran en 1967. Elle est arrivée en 1993 à Paris, sans parler le moindre mot de français. Aujourd’hui, douze ans après, elle a écrit deux essais et trois romans (publiés). Voici des extraits de son dernier roman « Comment peut-on être français ? » (Flammarion, 2006). Mme Djavann prend à rebrousse-poil les thèses dominantes que nous assènent les crétins de la sociologie, les ânes de la didactique, les dinosaures de la linguistique.
Page 54 : « L’apprentissage purement académique et linguistique du français ennuyait Roxane. Elle voulait apprendre la langue dans le texte, dans le contexte. Elle voulait lire les grandes œuvres, les grands auteurs et tout de suite. Seulement pour lire, encore fallait-il savoir lire (…) Une bibliothécaire lui proposa de commencer par quelques romans en version simplifiée pour les étrangers. Elle lui donna La Symphonie pastorale d’André Gide, et ce fut le premier livre que Roxane lut en français ».
Page 113 : « Pour s’imprégner des mots, pour découvrir leur essence, pour aller au-dedans des mots, elle décida d’abandonner le dictionnaire français-persan et de se référer uniquement au Petit Robert. Apprendre les mots français par le truchement de leur équivalent en persan les rendait encore plus artificiels et étrangers : en outre, les mots persans étaient inconciliables avec ce nouveau monde, tant ils rappelaient à Roxane les souvenirs d’un pays où des dogmes barbares faisaient office de lois. Roxane avait six ans lorsque le régime islamique s’était imposé en Iran, et le persan pour elle traduisait les félonies qui avaient assombri l’histoire de ce pays »
Page 116 : « Pour chaque mot, il fallait une humilité et une patience infinies ; il fallait l’approcher lentement, délicatement, pour l’amadouer ; il fallait le comprendre, le comprendre vraiment, le dire et le redire, le laisser entrer en soi, la garder en soi, tel un gage précieux. Telle une promesse de vie. Il fallait attendre que chaque mot mûrisse en soi, retrouve pleinement son sens, prenne de la chair, de la vie, qu’il devienne la chair de la vie, pour qu’il dise enfin la vie ».
Page 116 : « Elle ne voulait pas de cette langue comme d’un simple outil de communication, elle voulait accéder à son essence, à son génie, faire corps avec elle ; elle ne voulait pas seulement parler cette langue, elle voulait que la langue parle en elle. Elle voulait s’emparer de cette langue et que cette langue s’empare d’elle. Elle voulait vivre en français, souffrir, rire, pleurer, aimer, fantasmer, espérer, délirer en français, elle voulait que le français vive en elle.
Roxane voulait devenir une autre en français »
Page 118 : « Elle aspirait avidement à maîtriser cette langue, à la faire sienne. Elle voulait appartenir à cette langue entièrement, jusqu’au dernier de ses neurones. Elle la désirait charnellement, mentalement, psychiquement. Elle voulait la posséder totalement, et cette garce de langue se dérobait à elle, elle ne cessait de lui jouer des tours.
Quelle belle garce, cette langue, la plus belle. Quelle belle grâce, cette langue. La plus belle ».
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